terça-feira, 28 de fevereiro de 2012

Cardinal Ratzinger : Dix ans après la publication du Motu Proprio Ecclesia Dei, quel bilan peut-on dresser ?

FRATERNITE SACERDOTALE SAINT-PIERRE

Documents Discours du Cardinal Ratzinger, 24 octobre 1998

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Dix ans après la publication du Motu Proprio Ecclesia Dei, quel bilan peut-on dresser ?
Je pense que c'est avant tout une occasion pour montrer notre gratitude et pour rendre grâces.
Les diverses communautés nées de ce texte pontifical ont donné à l'Eglise un grand nombre de vocations sacerdotales et religieuses qui, zélées, joyeuses et profondément unies au Pape, rendent leur service à l'Evangile dans cette époque de l'histoire qui est la nôtre.
Par eux, beaucoup de fidèles ont été confirmés dans la joie de pouvoir vivre la liturgie, et dans leur amour envers l'Eglise, ou peut-être ils ont retrouvé les deux. Dans plusieurs diocèses - et leur nombre n'est pas si petit ! - ils servent l'Eglise en collaboration avec les évêques et en relation fraternelle avec les fidèles, qui se sentent chez eux dans la forme rénovée de la liturgie nouvelle. Tout cela ne peut que nous inciter aujourd'hui à la gratitude !
Cependant, il ne serait pas très réaliste de vouloir passer sous silence les moins bonnes choses : qu'en maints endroits les difficultés persistent et continuent à persister, parce que tant les évêques que les prêtres et les fidèles considèrent cet attachement à la liturgie ancienne comme un élément de division, qui ne fait que troubler la communauté ecclésiale et qui fait naître des soupçons sur une acceptation du concile « sous réserve seulement », et plus généralement sur l'obéissance envers les pasteurs légitimes de l'Eglise.
Nous devons donc nous poser la question suivante : Comment ces difficultés peuvent-elles être dépassées ? Comment peut-on construire la confiance nécessaire pour que ces groupes et ces communautés qui aiment l'ancienne liturgie puissent être intégrées paisiblement dans la vie de l'Eglise ?
Mais il y a une autre question sous-jacente à la première : quelle est la raison profonde de cette méfiance ou même de ce refus d'une continuation des anciennes formes liturgiques ?
Il est sans doute possible que, dans ce domaine, existent des raisons qui sont antérieures à toute théologie et qui ont leur origine dans le caractère des individus ou dans l'opposition des caractères divers, ou bien dans d'autres circonstances tout à fait extérieures.
Mais il est certains qu'il y a aussi des raisons plus profondes, qui expliqueraient ces problèmes.
Les deux raisons qu'on entend le plus souvent, sont le manque d'obéissance envers le concile qui aurait réformé les livres liturgiques, et la rupture de l'unité qui devrait suivre nécessairement, si on laissait en usage des formes liturgiques différentes.
Il est relativement facile de réfuter de manière théorique ces deux raisonnements.
Le concile n'a pas réformé lui-même les livres liturgiques, mais il en a ordonné la révision et, à cette fin, a fixé quelques règles fondamentales.
Avant tout, le concile a donné une définition de ce qu'est la liturgie, et cette définition donne un critère valable pour chaque célébration liturgique.
Si l'on voulait mépriser ces règles essentielles, et si l'on voulait mettre de côté les normæ generales qui se trouvent aux numéros 34-36 de la Constitution « De Sacra Liturgia », alors là, on violerait l'obéissance envers le concile ! C'est donc d'après ces critères qu'il faut juger les célébrations liturgiques, qu'elles soient selon les livres anciens ou selon les livres nouveaux.
Il est bon de rappeler ici ce qu'a constaté le Cardinal Newman qui disait que l'Eglise, dans toute son histoire, n'a jamais aboli ou interdit des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l'Esprit de l'Eglise. Une liturgie orthodoxe, c'est-à-dire qui exprime la vraie foi, n'est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies, dont on pourrait disposer de manière positive et arbitraire, aujourd'hui comme ça et demain autrement.
Les formes orthodoxes d'un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d'amour entre l'Eglise et son Seigneur, elles sont des expressions de la vie de l'Eglise, où sont condensées la foi, la prière et la vie même de générations, et où se sont incarnées dans une forme concrète en même temps l'action de Dieu et la réponse de l'homme. De tels rites peuvent mourir, si le sujet qui les a portés historiquement disparaît, ou si ce sujet s'est inséré dans un autre cadre de vie.
L'autorité de l'Eglise peut définir et limiter l'usage des rites dans des situations historiques diverses, mais jamais elle ne les interdit purement et simplement !
Ainsi, le concile a ordonné une réforme des livres liturgiques, mais il n'a pas interdit les livres antérieurs. Le critère que le concile a exprimé est à la fois plus vaste et plus exigeant : il invite tous à l'autocritique ! Mais nous reviendrons sur ce point.
Il faut encore examiner l'autre argument, qui prétend que l'existence de deux rites peut briser l'unité.
Là, il faut faire une distinction entre le côté théologique et le côté pratique de la question. Pour ce qui est du côté théorique et fondamental, il faut constater que plusieurs formes du rite latin ont toujours existé, et qu'elles se sont retirées seulement lentement suite à l'unification de l'espace de vie en Europe. Jusqu'au concile existaient, à côté du rite romain, le rite ambrosien, le rite mozarabe de Tolède, le rite de Braga, le rite des chartreux et des carmes, et le plus connu : le rite des dominicains, - et peut-être encore d'autres rites que je ne connais pas.
Personne ne s'est jamais scandalisé que les dominicains, souvent présents dans nos paroisses, ne célébraient pas comme les curés, mais avaient leur rite propre. Nous n'avions aucun doute que leur rite fût catholique autant que le rite romain, et nous étions fiers de cette richesse d'avoir plusieurs traditions diverses.
En outre, il faut dire ceci : l'espace libre, que le nouvel Ordo Missæ donne à la créativité, est souvent élargi excessivement ; la différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, célébrée en des endroits divers, est souvent plus grande que celle entre la liturgie ancienne et la liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits.
Un chrétien moyen sans formation liturgique spéciale a du mal à distinguer une messe chantée en latin selon l'ancien Missel d'une messe chantée en latin selon le nouveau Missel ; par contre, la différence entre une messe célébrée fidèlement selon le Missel de Paul VI et les formes et les célébrations concrètes en langue vulgaire avec toutes les libertés et les créativités possibles, - cette différence peut être énorme !
Avec ces considérations nous avons déjà franchi le seuil entre la théorie et la pratique, où les choses sont naturellement plus compliquées, puisqu'il s'agit des relations entre des personnes vivantes.
Il me semble que les aversions dont nous avons parlé sont si grandes parce qu'on met en relation les deux formes de célébration avec deux attitudes spirituelles différentes, à savoir avec deux manières différentes de percevoir l'Eglise et l'existence chrétienne tout court.
Les raisons pour cela sont multiples.
La première est celle-ci : on juge les deux formes liturgiques à partir des éléments extérieurs et on arrive ainsi à la conclusion suivante : il y a deux attitudes fondamentales différentes.
Le chrétien moyen considère essentiel pour la liturgie rénovée, qu'elle soit célébrée en langue vulgaire ou face au peuple, qu'il existe un grand espace libre pour la créativité et que les laïcs y exercent des fonctions actives.
Par contre, est considéré essentiel pour la célébration selon le rite antique, qu'elle soit dite en langue latine, que le prêtre soit tourné vers l'autel, que le rite soit prescrit sévèrement et que les fidèles suivent la messe en priant en privé, sans avoir une fonction active.
Dans cette optique, la phénoménologie est essentielle pour une liturgie, non pas ce qu'elle considère elle-même comme essentiel.
Il fallait s'attendre à ce que les fidèles s'expliquent la liturgie à partir des formes concrètes visibles et qu'ils soient imprégnés spirituellement par ces formes-là, et que les fidèles ne pénètrent pas facilement dans les profondeurs de la liturgie.
Les contradictions et oppositions que nous venons d'énumérer ne proviennent ni de l'esprit ni de la lettre des textes conciliaires.
La Constitution sur la Liturgie elle-même ne parle pas du tout de la célébration face à l'autel ou face au peuple.
Et au sujet de la langue, elle dit que le latin doit être conservé tout en donnant une place plus large à la langue maternelle, « surtout dans les lectures, les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants » (n° 36,2).
Quant à la participation des laïcs, le concile insiste d'abord en général sur le fait que la liturgie est essentiellement l'affaire du Corps du Christ tout entier, Tête et membres, et que pour cette raison, elle appartient au Corps tout entier de l'Eglise « et qu'elle est par conséquent destinée à être célébrée en communauté avec participation active des fidèles ».
Et le texte précise : « Dans les célébrations liturgiques chacun, ministre ou fidèle, en s'acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature des choses et des normes liturgiques »(n° 28). « Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré »(n° 30).
Voilà les directives du concile : à tous elles peuvent donner matière à réflexion.
Parmi un certain nombre de liturgistes modernes il y a malheureusement une tendance à développer les idées du concile dans une seule direction en agissant ainsi, on finira par renverser les intentions du concile.
La position du prêtre est réduite par quelques-uns au pur fonctionnel.
Le fait que le Corps du Christ tout entier est le sujet de la liturgie, est souvent déformé au point que la communauté locale devient le sujet autosuffisant de la liturgie et en distribue les divers rôles.
Il existe aussi une tendance dangereuse à minimaliser le caractère sacrificiel de la messe et à faire disparaître le mystère et le sacré, sous le prétexte, soit-disant impératif, de se faire comprendre plus facilement. Enfin, on constate la tendance à fragmenter la liturgie et à souligner unilatéralement son caractère communautaire, en donnant à l'assemblée le pouvoir de décider sur la célébration.
Mais heureusement, il y a aussi un certain dégoût du rationalisme plein de banalité et du pragmatisme de certains liturgistes, qu'ils soient théoriciens ou praticiens, et on constate un retour au mystère, à l'adoration et au sacré, et au caractère cosmique et eschatologique de la liturgie, dont témoigne la « Oxford Declaration on Liturgy » de 1996.
D'autre part, il faut admettre que la célébration de l'ancienne liturgie s'était trop égarée dans le domaine de l'individualisme et de privé, et que la communion entre prêtres et fidèles était insuffisante.
J'ai un grand respect pour nos aïeux, qui disaient durant les messes basses les « prières pendant la messe » que leur livre de prières proposait, mais certainement on ne peut considérer cela comme l'idéal de la célébration liturgique !
Peut-être, ces formes réduites de célébration sont-elles la raison profonde pour laquelle la disparition des livres liturgiques anciens n'a eu aucune importance dans beaucoup de pays et n'a causé aucune douleur.
On n'y avait jamais été en contact avec la liturgie elle-même.
D'autre part, là où le mouvement liturgique avait créé un certain amour pour la liturgie, - là où ce mouvement avait anticipé les idées essentielles du concile, comme par exemple la participation de tous à l'action liturgique, - là était plus grande la douleur face à une réforme liturgique entreprise trop à la hâte et se limitant souvent à l'aspect extérieur.
Là où le mouvement liturgique n'a jamais existé, la réforme n'a d'abord pas posé de problème.
Les problèmes se sont posés seulement de façon sporadique là où une créativité sauvage a fait disparaître le mystère sacré.
Voilà pourquoi il est si important d'observer les critères essentiels de la Constitution sur la Liturgie, que j'ai cités plus haut, aussi si l'on célèbre selon le Missel ancien ! Au moment où cette liturgie touche vraiment les fidèles par sa beauté et sa profondeur, alors elle sera aimée, et alors elle ne sera pas en opposition inconciliable avec la Liturgie nouvelle, - pourvu que ces critères soient appliqués comme le concile l'a voulu.
Joseph Cardinal RATZINGER
Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi